J’écris ce soir de retour à Mopti, aux sons mêlés de chèvres qui bêlent et du muezzin du quartier qui appelle à la prière du vendredi,  ceci après deux jours incroyables passés dans le pays dogon ! Quelques enfants, sans doute tout proches, chantonnent. Au loin, le son un peu étouffé d’une musique de fête. Encore quelques pétarades de motos. Chouette bande sonore, que j’aurais aimé enregistrer !

Les deux jours passés dans ce magnifique pays dogon ont été enchanteurs, et nous ont fait (presque) oublier tous nos soucis. Nous avons réussi à convaincre Prince de laisser momentanément tomber les problèmes de voiture pour venir avec nous. Il sera temps à notre retour de s’en préoccuper. La voiture ne craint rien, puisqu’elle est sous la bonne garde du chef de village.

Je ne vais pas me lancer dans le descriptif du pays dogon, au risque de très mal concurrencer les guides de voyage ou les bouquins très spécialisés sur la question. Je me contenterai de dire ici que ce peuple a fui au 9ème siècle l’islam qu’on tentait de leur imposer sur leur terre d’origine, le pays mandingue, près de Bamako. Ils sont partis à 8, et on leur a dit « Do gon », ce qui veut dire « bon voyage ». D’étapes en étapes, ces 8 rebelles sont parvenus jusqu’à la falaise de Bandiagara, longue de 80 kilomètres et haute d’environ 200 mètres de rochers rougeoyants, qui domine une plaine immense au milieu de laquelle s’étale une grande dune dorée, frontière entre le Mali et le Burkina Faso. Là, ils sont parvenus sur les terres d’un peuple troglodyte, les tellems, qui avaient construit leurs habitations à l’intérieur même de la roche et à différents niveaux de la falaise, pour se protéger des animaux sauvages de la forêt qui couvrait la plaine. Ces tellems accédaient à leurs incroyables logements superposés à l’aide de cordes tressées avec de l’écorce de bambou. De véritables acrobates ! Les dogons ont fini par éliminer les tellems, si j’ai bien compris, en détruisant toutes les forêts qui couvraient la région, de telle sorte qu’ils ne pouvaient plus vivre de la chasse et de la cueillette. Désormais, le peuple dogon vit sur, dans et sous la fameuse falaise, et a prospéré.

Ce peuple animiste a su conserver une culture ancestrale très spécifique : 121 langues ou dialectes, méconnaissance de l’écriture, langue secrète pour les initiés, croyance en la cosmogonie, cérémonies et règles spécifiques à chaque village, etc. Ils ont vécu presque isolés du monde pendant des siècles, avant que le tourisme ne les découvre récemment et leur amène des visiteurs. Bien sûr, en deux jours, on ne peut pas vraiment approcher tout cela. Il faut se contenter de constater l’existence de ce peuple et de ressentir l’atmosphère dans laquelle il vit.

Une atmosphère quasiment lunaire de roches entre lesquelles ne poussent que quelques herbes sèches et des baobabs, énormes, monstrueux. Les cours d’eau sont en ce moment à sec, ce qui ajoute encore à l’aspect désolé du lieu. On parvient au sommet de la falaise sur un plateau, grâce à une piste très défoncée mais néanmoins praticable avec un bon 4X4. J’en ai loué un pour deux jours. Au sommet de la falaise, le panorama sur la plaine et la dune qui la traverse est époustouflant. Il se trouve aussi que nous avons eu beaucoup de chance puisque nous avons pu assister au marché qui n’a lieu que tous les 5 jours,  durée de la semaine des dogons, qui décidemment ne font rien comme les autres ! Fourmillement sous un écrasant soleil de gens en vêtements traditionnels peuhls ou dogons, assis par terre, vendant une incroyable quantité de denrées que nous méconnaissons pour la plupart, en quantité souvent infime. C’est étourdissant de couleurs, de monde et de chaleur. Magnifique à contempler d’en haut. En soirée, des funérailles sont organisées dans un village proche. Je ne comprends pas très bien ni qui est mort, ni quand, mais cela n’a pas d’importance.

Au sommet d’un plateau rocheux, une masse de gens en vêtements dogons se regroupe sur une sorte de place. La cérémonie qui va durer toute la nuit et sera fortement arrosée de bière de mil,  débute par une danse aux sons des coups de fusil à poudre, destinée à chasser d’abord les mauvais esprits avant que la fête ait lieu. Les hommes armés de ces fusils ou de machettes, de haches, de lances,  simulent l’un le chasseur l’autre le chassé en dansant, et les coups de fusil sont assourdissants. La fumée et l’odeur de la poudre commencent à se répandre dans l’air. Des chants syncopés accompagnent la danse qu’observent plusieurs centaines de spectateurs, femmes et bébés compris. Je suis la seule à sursauter au bruit des coups de feu, ce qui amuse les dogons! Un vieux fou vient s’adresser à nous, et malgré l’interdiction qui nous est donnée de prendre des photos (sans payer, bien sûr !), notre présence est bien acceptée et ne suscite aucune hostilité.

Puis soudain, le ciel s’obscurcit et rougeoie. Le vent se lève en coup violents qui transportent le sable de la dune toute proche. L’atmosphère devient alors incroyable, titanesque ! Tout est si étrange, la lumière, les sons ! Nous devons fermer les yeux et cacher nos visages à chaque rafale. La nuit est en train de tomber, et c’est ainsi que nous effectuons à pied la descente du plateau, prudemment de roche en roche, jusqu’au 4X4 qui nous attend un peu plus bas.

Ces dogons semblent avoir réussi ce que peu de peuples ancestraux sont parvenus à faire : conserver intacte leur culture et y intégrer intelligemment le tourisme. Nous avons dû prendre un guide qui nous a accompagnés partout et a joué un rôle de laisser-passer, contre une somme qui revient en partie à la collectivité. Dans les villages traversés à pied le lendemain, le guide distribue au chef de village des noix de cola et quelques pièces, contre lesquelles nous circulons librement.

Les maisons sont ici caractéristiques : ce sont des parallélépipèdes en banco garnis d’une minuscule lucarne, et qui ressemblent plus à des bunkers qu’à des maisons. Chacune est ceinte de ses greniers. Les greniers mâles contiennent les céréales et appartiennent au chef de famille. Chaque épouse (en général 3), possède son  grenier femelle dans lequel elle enferme ses vêtements, ses bijoux, ses secrets de femme, les poisons qu’elle destine à ses rivales, etc. Chez les familles les plus aisées, les greniers femelles sont fermés par des portes sculptées toutes identiques, qui racontent une incroyable histoire avec la représentation des 8 ancêtres, des animaux de l’ancienne forêt, de femme stérile s’adressant à un devin, etc.  La porte se ferme à l’aide d’une clef, et chaque femme possède la sienne. L’histoire racontée qui nous est relatée par notre guide me séduit, et je ne résiste pas à acheter après d’âpres négociations, une copie d’une de ces portes, à un vieux dogon qui nous la propose au milieu d’un village.

Nous dormons dans un gîte appelé « le gite de la femme dogon », lieu très sympa où la cuisine est bonne, et où nous choisissons de dormir à la belle étoile sur la terrasse. Un moment de grâce pour moi que celui de m’endormir sous le ciel étoilé. Il y a du vent, mais je n’aurais pas froid. Mes compagnons africains frileux souffriront plus que moi.

Nous décidons de quitter le pays dogon dès le début de l’après-midi du deuxième jour, car nous sommes préoccupés. Demain à 17 heures a lieu à Bamako la cérémonie de clôture du Rallye, en présence du ministre de la Jeunesse et des sports et de représentants officiels de toutes les institutions que nous avons rencontrées. Pas question d’y être en retard. Or, la distance de Mopti à Bamako est immense (640 km), sur une route que nous devrons Dialo et moi faire en bus, sans cesse traversée par des animaux, et où les dos-d’âne incessants ralentissent considérablement le voyage. La voiture de Prince est toujours immobilisée sans solution à 80 km de Mopti. Il faut à nouveau trouver un mécanicien (le sixième si mes comptes sont bons !), la ramener jusqu’à Mopti à un vrai garage où elle pourrait (In Challah !) être correctement réparée, de façon à ce qu’elle puisse parcourir les 2500 km qui l’attendent encore pour regagner Cotonou. Nous choisissons donc de nous servir du 4X4 pour faire ce travail avant la nuit. Je reste seule à Mopti pendant ce temps.

Profitant de ces quelques heures, je pars à la recherche d’un marché artisanal décrit comme le plus intéressant de tout le Mali, et prends dans ce but un taxi. Le taxi me laisse en plein souk, et personne ne connaît apparemment le marché en question. A travers le dédale des ruelles grouillantes de monde et de marchandises, je me fraie difficilement un chemin dans la canicule de l’après-midi. Finalement, après avoir suivi un homme qui se propose de m’accompagner, je parviens au marché où toutes les boutiques sont fermées : c’est vendredi ! La région de Mopti est effectivement très musulmane, et l’islam a même fini par rattraper les dogons, convertis très souvent à cette religion, qu’ils avaient pourtant fuie au 9ème siècle !

Le taxi de retour ne peut pas me ramener jusqu’à l’hôtel. C’est un taxi collectif qui n’a pas le droit de quitter le « grand goudron ». Or, pour accéder à l’hôtel il faut passer aussi par le « petit goudron » ! Bien. Je ferai donc ce petit bout de chemin à pied. Le parcours traverse un terrain vague attenant à un grand stade. Là, un gamin d’une dizaine d’années, m’insulte, me bouscule, me donne des coups de poing, sous le regard d’abord amusé de ses copains. J’ai peur bien sûr, car je ne fais pas le poids face à une bande de garçons, même de tout petits garçons ! Je me défends et je hurle si bien que les enfants spectateurs prennent peur, et maîtrisent mon agresseur.

De retour à l’hôtel il me reste à attendre Dialo, Prince, Modeste et Olivier, dont je suis impatiente de savoir ce qu’ils ont bien pu faire avec le véhicule. Ils reviennent finalement avec, ayant trouvé le sixième mécanicien miracle ! Ouf ! Nous passerons encore la nuit sur le toit de la terrasse de l’hôtel. Nos moyens ne nous permettent plus de prendre des chambres climatisées, et les ventilateurs se contentant de brasser un air très chaud, ne servent plus à grand-chose.

Demain, départ à 6 heures du matin avec Dialo pour Bamako, en bus, car le reste de la bande doit trouver des pièces originales permettant de réparer la voiture correctement. Seul le bus nous permet d’espérer être à Bamako à temps pour la cérémonie. Le président, fort inquiet, m’appelle vers 18h30, pour me demander de prendre un bus de nuit. Je refuse. D’abord il est trop tard pour cela. Ensuite, je ne me sens pas de passer la nuit dans un bus. Enfin, s’ils craignaient que nous ne puissions être à l’heure, les Bamakois n’avaient qu’à placer la cérémonie une heure plus tard !

Notre interlocuteur de l’agence de voyage nous a réservé des places dans ce qu’il dit être le meilleur bus de la région, climatisé, aussi direct que possible et partant à la première heure. OK. Tout semble arrangé.