C’est à 6 heures du matin que je dois quitter mes amis, Modeste, Prince et Olivier. Toute la nuit déjà, sur ce toit et sous les étoiles, j’ai pensé à eux, à l’amitié que je leur porte et à la séparation du lendemain. J’ai le cœur très gros de les quitter, eux qui m’ont accompagnée quasiment nuit et jour pendant presque trois mois, qui ont pris soin de moi, m’ont assistée dans tous mes besoins aussi bien personnels que pour le travail. Je me suis beaucoup attachée à chacun d’eux que j’ai appris à connaître. Je les considère maintenant un peu comme mes grands fils. Je suis triste et après des bises furtives à Modeste et Prince qui dorment encore au moment du départ, je m’écroule en larmes dans les bras d’Olivier.

Le voyage en bus a été un véritable enfer, que je ne souhaite à personne, pas même à mon pire ennemi. De départ à 7 heures, il n’y aura pas ! De climatisation, il n’y aura pas ! De parcours direct, il n’y aura pas ! Le voyage durera 10 heures exactement, et le thermomètre du tableau de bord (qui d’ailleurs n’a qu’un thermomètre, puisque même le compteur de vitesse ne fonctionne pas !) affiche au milieu du trajet 45° à l’intérieur du véhicule ! De la musique guinéenne nous accompagne d’abord, ce qui n’est pas désagréable. Dialo est une compagnie que j’apprécie. Il me parle de son terrible pays, dans une situation désespérée et désespérante. Nous faisons une partie de DupliTop 5.  Mais avec le changement de chauffeur à mi-parcours, l’épuisement commence à me gagner et, après un arrêt destiné à la prière, nous aurons droit à une lecture de Coran et à un prêche enregistré sur cassette pendant environ trois heures ! Infernal…Le bus, soudain, s’arrête sur le bas-côté de la route ! Une panne ! Encore une ! Heureusement, elle ne nous immobilisera que quelques instants, le temps sous un acacia si maigre qu’il ne donne quasiment pas d’ombre, de patienter et de comprendre le fatalisme dans lequel vivent les africains. Nous repartons.

Dans l’après-midi je ne parviens plus à respirer correctement. Dialo comprend que je me sens mal, et me procure un sac d’eau fraîche dont je m’arrose pour retrouver mes esprits. Le bus s’arrête tout le temps pour prendre qui lui fait signe sur la route ou lui demande d’en descendre. A chaque arrêt, une nuée hurlante de vendeurs à la sauvette, nous harcèle. Je n’ai le temps que de tirer une ou deux bouffées sur ma cigarette, et il faut déjà repartir. Et le temps passe, et nous rapproche inexorablement de l’heure fatidique à laquelle nous attend le Ministre pour la cérémonie.

Les copains ont réussi à réparer la voiture de Prince et ont quitté Mopti pour Bamako ! Moi qui pleurais tant ce matin de les avoir quittés, voilà qu’il va falloir que je pleure à nouveau demain en les quittant pour la deuxième fois. Je ne comprends pas très bien cette décision de retour sur Bamako, alors que Mopti les rapprochait de Cotonou, mais bon. Peut-être vont-ils réussir à doubler le bus sur la route, auquel cas je pourrais retrouver ma place climatisée aux côtés de mon Prince ? L’espoir sera vain tout l’après-midi. Ils arriveront quasiment en même temps que le bus sans jamais réussir à nous doubler !

Je crois vivre un cauchemar qui est chez moi très récurrent. Je rêve sans cesse que je suis attendue par un public pour une intervention et que, soit je n’ai pas mes documents pour la faire, soit je ne réussis pas à me rendre jusque là. Aujourd’hui ce cauchemar est en train de se réaliser ! Dialo et moi ne cessons de consulter la carte pour identifier notre position, car sur les routes maliennes il n’y a pas de bornes indicatives. Nous calculons et recalculons l’heure à laquelle nous allons arriver et ce calcul nous amène à constater que nous serons inexorablement en retard.

C’est dans cette angoisse que je reçois un message du président de la fédération malienne à qui j’ai refusé la veille de prendre un bus de nuit : « votre absence sera fortement remarquée par les ministres et les ambassadeurs que l’on ne pourra pas faire attendre » ! Pour qui se prend-il celui-là, pour mon patron ? Qu’est-ce que c’est que ce message, un avertissement d’un hiérarchique ? Qui a fixé la cérémonie à 17 heures ? Etais-je censée il y a 10 jours, lorsque j’ai approuvé le programme,  savoir combien de temps il faut pour revenir de Mopti ? Mon « absence » supposée a-t-elle été évoquée à un moment quelconque ? Suis-je en train de traînasser quelque part à m’occuper de mes affaires personnelles au lieu d’honorer les rendez-vous que j’ai moi-même demandés pour cette cérémonie ? Le retard est-il devenu soudain inacceptable parce qu’il émane de ma part, alors que je passe ma vie depuis trois mois à attendre les autres ? Ce Monsieur n’était-il pas lui-même absent lors des trois premiers jours du Rallye, sous prétexte qu’il avait des choses personnelles à faire plus importantes que d’accueillir cet évènement ? Le message me reste vraiment en travers de la gorge.

Je pourrais dire que cette étape malienne aura été réussie du point de vue opérationnel, puisque la totalité ou presque du programme que nous avons fixé a été honorée : tournoi en duplicate, formation des enseignants, rencontres ministérielles, et maintenant cérémonie de clôture médiatisée. Mais du point de vue des relations humaines, cela aura été l’étape la plus décevante. Le Secrétaire Général, Massa, qui était mon seul interlocuteur pour la préparation du Rallye, a été la seule personne à se mobiliser vraiment et à avoir un comportement correct. De la part des autres scrabbleurs, et en particulier de plusieurs membres du bureau, président compris, je n’aurais ressenti que de la désinvolture, un manque d’humilité, de l’amateurisme, une absence de solidarité, de l’ingratitude aussi pour le travail effectué. Il y a un sacré boulot à réaliser au Mali pour construire une fédération sportive digne de ce nom ! « Sportive » ? C'est-à-dire amicale, dévouée, solidaire, reconnaissante et fair play. En tous les cas, c’est ma conception.

J’arrive à la cérémonie qui a déjà commencé depuis une demi-heure en présence du Ministre, de la représentante de l’OIF, du Directeur de cabinet du Ministère de l’enseignement et de la Présidente d’honneur, des médias, extrêmement sale, en sueur, hagarde, respirant à peine et en courant. L’assemblée composée de plus de 100 personnes, m’accueille et me donne immédiatement la parole, si bien que je n’ai même pas le temps d’allumer mon ordinateur où j’ai consigné les notes de mon discours. Je m’en sors. Je ne sais pas comment. Sous les flashs des photographes et l’œil des caméras, je parle avec le plus de conviction possible des acquis du Rallye, de la belle expérience humaine que je viens de vivre, et du chemin qui reste à parcourir à la fédération malienne si elle veut être représentée au plan international. Je serre la main du ministre de la Jeunesse et des Sports à qui j’indique que, s’il devient un jour ministre des transports maliens, j’ai quelques suggestions à lui faire !

Je suis ce soir là, à la veille de mon départ, au bout du rouleau. La peine que j’ai à quitter mes amis, l’épreuve du voyage, la cérémonie sur les chapeaux de roue, ont mis mes nerfs à bout. Je craque littéralement. Inutile de s’étaler…

Aujourd’hui, à l’heure où j’écris, à quelques heures de prendre mon avion pour Paris, je reçois un mail d’excuses du Président de la fédération malienne, qui s’émeut tout de même des trois mois que j’ai consacrés à ce travail et m’en remercie. J’ai à nouveau embrassé en pleurant Prince, Modeste et Olivier qui sont repartis ce matin. Je rattrape le retard de ce blog. Je vais effectuer mon compte rendu de synthèse sur le Rallye au Mali pour la FISF. Je me calme.  Il me reste alors à boucler mes bagages et à espérer dormir le plus possible lors des 10 heures de voyage de nuit qui m’attendent avant d’atterrir à Paris.

FIN