Beaucoup de choses se sont passées durant ces deux jours.
La première réunion avec la Fédération Mauritanienne de Scrabble, le 25 au soir, m’a beaucoup intéressée. De l’ancienne équipe, celle en place aux heures de gloire scrabblesque du pays, (puisqu’en 2003 un mauritanien a été champion du monde), il ne reste que deux membres actifs, et la fédération semble s’être bien assoupi. Ils ne sont que 4 à cette réunion : le Président (Alyoun) qui n’est pas un scrabbleur, le 1er Vice Président (Ely) qui a été mon correspondant pour le Rallye, le Secrétaire Général (Brahim) et le trésorier (Keba). Très vite, on comprend qu’ils ne sont guère épaulés par qui que ce soit, et que la fédération vivote gentiment, sans véritable vie institutionnelle. Le Président n’a pas un mandat défini. Il n’y a pas eu d’Assemblée Générale depuis longtemps, ni d’organisation de championnats nationaux ou même de tournois. L’activité se pratique partout de façon informelle : des groupes de scrabbleurs se réunissent régulièrement au domicile de l’un deux pour des parties classiques, et même si certains sont extrêmement mordus, elle ne dépasse pas ce petit cercle. Partout dans le pays, le scrabble se pratique entre amis et en famille. Le potentiel de joueurs est donc très important, ainsi que la passion qui s’exprime dans leurs activités, mais ce potentiel reste inexploité. Contrairement au Burkina Faso, où j’ai rencontré une situation comparable, la Mauritanie a cependant un véritable passé de fédération. La fédération mauritanienne a un agrément et est affiliée au Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Culture, depuis déjà longtemps.
Mes interlocuteurs semblent intéressés à relancer la vie de l’association, et m’accueillent dans ce but. Nous convenons de la nécessité de convoquer une Assemblée Générale en ma présence pour renouveler l’actuel bureau, et mobiliser le plus possible les scrabbleurs mauritaniens pour qu’ils s’organisent. Un tournoi est prévu le soir du 28 à Nouakchott dans ce sens. Mais tout est à faire : mettre en place un organigramme efficace et trouver des candidats, recenser les joueurs, relancer les pouvoirs publics, organiser des Ligues Régionales, ce dernier point étant particulièrement important compte tenu de la superficie du pays, des difficultés de communication qu’on y rencontre, et de la faiblesse des équipements informatiques. Un programme d’activités 2009 devra être établi à la suite de l’AG.
Nous parvenons sans difficultés à établir un planning pour ma tournée dans le pays, conciliant travail en région et intérêts touristiques. Le planning me convient, et les moyens mis à ma disposition sont excellents : 4X4 avec chauffeur et accompagnant permanent. Tout s’annonce donc bien. Je suis contente de ce démarrage facile.
Le 26 au matin, rencontre avec le Ministre de tutelle. Le rendez-vous prévu à 11 heures est décalé à 13 heures. Tout s’organise par téléphone portable, devenu le véritable outil de base de la vie relationnelle africaine. Tandis que j’attends devant le Ministère que le Ministre soit disponible, une femme s’approche de moi en souriant comme si elle me connaissait. C’est une vendeuse rencontrée dans le centre artisanal à Ouagadougou et qui reconnaît la cliente qui lui a acheté un sac il y a quelques mois ! Me voilà devenue populaire en Afrique ?
Comme à chaque rencontre ministérielle, l’accueil est très favorable. Il n’est nul besoin de convaincre beaucoup de l’intérêt de notre activité qu’il s’agisse du plan sportif, du plan culturel et linguistique. Mais derrière cette courtoisie, rien n’est joué. Il faudra relancer de façon très active, sur des objectifs précis, inscrits dans un calendrier. Il faudra faire la preuve du dynamisme de la fédération. A la Fédération Mauritanienne maintenant de jouer !
Dans la journée, les 4 responsables de la fédé mauritanienne travaillent, si bien que je suis libre jusqu’au 28 au soir, date du tournoi. Je décide de consacrer ce temps à visiter le Tagant : un des plateaux désertiques du cœur de la Mauritanie, moins touristique que l’Adrar qui clôturera mon périple. La journée suffit à organiser les choses : location de véhicule, préparatifs divers, sac adapté au bivouac, etc. Il est tard en soirée lorsque nous démarrons et nous devrons dormir en route.
La sortie de Nouakchott est difficile. Comme dans beaucoup de villes africaines les embouteillages sont légion, le respect du code de la route très aléatoire, la signalisation absente, et le klaxon omni présent : il avertit que l’on arrive, que l’on dépasse, que l’on veut passer, que l’on n’est pas content ! Toute la ville retentit du bruit incessant des klaxons jusqu’à la nuit qui, elle, est étonnamment calme, car la vie nocturne de Nouakchott n’est pas très animée. Elle reprend à 6 heures du matin, avec le premier appel à la prière que même le dormeur le plus émérite ne pourrait pas ne pas entendre tant l’amplification au micro est forte. Le nom d’Allah résonne alors dans toute la ville.
Très vite, sur la route de Tidjikja, notre destination, la nuit tombe, si bien que l’on ne voit pas grand-chose. Le temps de se ravitailler en gaz oil que nous transportons à l’arrière du pick-up dans des bidons, en eau et en produits de grignotage : cacahuètes, bananes et biscuits seront suffisants pour ce soir. Nous roulerons jusqu’à 23 heures dans la nuit presque sans arrêt, sauf pour les prières du soir qui se font sur le bord de la route, quelques fidèles voyageurs se regroupant. Lorsque nous apercevons les premières dunes dans la nuit, je craque ! C’est là qu’il faut s’arrêter ! Mes compagnons de voyage, Moulaye mon ange gardien et Salek notre chauffeur, ne sont pas contrariants. Le 4X4 bifurque en pleine brousse pour se rapprocher des dunes dont le profil se dessine dans la nuit très étoilée.
Salek fait un feu avec quelques brindilles, prépare le thé dont il ne se sépare jamais en faisant chauffer l’eau sur son petit camping gaz. Le rituel du thé est sacré ici. On en boit toute la journée de petits verres très sucrés, et sa préparation obéit à une procédure stricte : rinçage des verres, multiples transvasements d’un verre à l’autre pour que le liquide mousse, puis première dégustation par celui qui le prépare, avant d’être enfin servi aux hôtes qui devront en boire trois verres. C’est délicieux, et Salek semble particulièrement bien s’y connaître !
La nuit est un festival d’étoiles. Au dessus de mon duvet, scintillent des millions d’étoiles et la voie lactée cotonneuse semble à portée de mains. Je suis parfaitement équipée : petit oreiller ergonomique de voyage, duvet en plumes d’oie, pyjama polaire. Rien à craindre du froid. La température descendra aux environs de 8 ou 10° mais je suis totalement au chaud dans mon sarcophage douillet ! Pour moi c’est le bonheur ! Je tarde à fermer les yeux tant je me réjouis du spectacle de ce ciel que seul le désert permet de voir.
Nous nous éveillons à l’aube et je découvre le paysage, peu visible hier soir : les dunes sont parsemées de petits acacias en forme d’ombrelles. Nous plions bagages et repartons pour prendre un petit déjeuner quelques kilomètres plus loin, sous une tente maure installée au bord de la route. Le patron fait mine de croire que je ne suis pas une femme avec mes cheveux coupés très courts. Nous plaisantons volontiers sur le thème. Très sympa.
Le paysage découvert à partir de ce point est fantastique : petits oasis verdoyants aux pieds de dunes blondes gigantesques, alternance de regs noirâtres et de terre rougeoyante, mélanges de sables orangés et blancs, puis mer de dunes douces et basses qui dessinent à perte de vue des mouvements ondoyants de corps de femme. Jamais je ne me lasserai du désert sous toutes ses formes.
C’est une véritable fascination. Au pied de la passe d’Echetf, qui grimpe sur le plateau du Tagant, nous sommes arrêtés par des gendarmes, comme cela est le cas toutes les vingt minutes au moins sur cette route. Car nous sommes exactement ici sur le lieux récents de l’assassinat de la famille française et les autorités mauritaniennes ne lésinent pas sur la sécurité.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée ici, pour dénoncer la façon dont les médias ont relaté cette triste histoire. Al Qaida a bon dos ! Il s’est en fait agi d’une action de brigandage, conduite par des délinquants fraîchement échappés de prison, et qui tentaient de gagner le Mali par le désert. Jamais aucune revendication terroriste n’a été effectuée, et les brigands ont été très vite arrêtés et écroués à nouveau. Depuis, on ne cesse de dire chez nous que la Mauritanie est un pays dangereux, que l’islamisme le plus intégriste y règne, et que le touriste est en grand danger. Tomber sur des brigands en plein cœur du désert me paraît un risque infiniment moins probable que de se faire braquer n’importe où en France chez un commerçant, que de se prendre de plein fouet un chauffard qui conduit à contresens sur l’autoroute, que de se trouver victime d’attentat dans n’importe quelle gare parisienne. Personnellement, je me sens en parfaite sécurité dans ce pays, et en tant que femme dans tous les pays où règne l’Islam.
Revenons donc à ces gendarmes ! Ils jouent à la pétanque ! Cela tombe bien car Moulaye est un champion de la fédération mauritanienne de pétanque. Nous voilà donc en pleine partie, et moi au milieu des hommes en uniforme vert, la boule à la main, essayant de marquer quelques points ! Effort inutile, je suis nulle à ce jeu. Mais, faisant équipe avec Moulaye, nous gagnons tout de même. Cette anecdote pour décrire le climat que font les régner les militaires au pouvoir dans ce pays si insécurisant !
Du sommet de la montagne de pierres rouges où grimpe notre 4X4, la vue sur la mer de dunes qui entoure le village en contrebas est fantastique. Les maisons mauritaniennes sont très cubiques et la ville dessine une véritable mosaïque. Les sables dansent autour d’elle dans des mouvements ondulants perpétuels, jusqu’à l’horizon. Lumière douce du matin sous un ciel parfaitement bleu. Photos.
Nous bifurquons plus loin sur une piste, espérant rejoindre la ville ancienne de Rachid, que le Routard décrit comme intéressante. La piste de 70 kilomètres se fraye un passage dans le sable entre des buissons d’épineux bien ras ou d’acacias maigrelets. Le véhicule ne peut plus rouler qu’à faible vitesse, si bien que je profite de l’occasion pour grimper dans la partie arrière du 4X4 ouverte sur l’extérieur. Un vrai régal car je peux alors voir tout ce que nous croisons, comme si je marchais à pied. Le détail de chaque tronc d’arbre, des pierres qui nous barrent le chemin. Le soleil est fort et les cahots sont très inconfortables sur cette plateforme de ferraille. Il faut m’accrocher bien fort aux barres latérales pour limiter sur mon dos les effets des dos d’âne et les sursauts que créent les passages des rochers. La route est très longue et parfois la piste disparaît ou se sépare en plusieurs branches. Salek est un bon chauffeur et se débrouille comme un chef. Malheureusement, lorsque nous apercevons enfin en milieu d’après midi ce que nous croyons être Rachid, nous découvrons qu’il s’agit de Tidjikja et que nous avons probablement raté le bon embranchement. Même pas grave, n’est ce pas ? L’essentiel est la balade, et elle était réjouissante.
Déjeuner dans une auberge maure qui se résume à une seule pièce couverte de tapis et entourée de matelas au sol. La télé hurle un peu fort à mon goût, passant en boucle une interview d’Obama dont personne ne semble se lasser. Seule la prière de Salek et de Moulaye me donne quelques instants de répit ! Cette ville est très isolée du reste du pays, et semble comme à l’abandon. Dans l’entrebâillement de la porte la rue est inondée de soleil et des gens passent. Je m’émerveille des couleurs de leurs vêtements qui défilent devant mes yeux. Les boubous bleu lavande ou blancs des hommes, soyeux et chatoyants avec leurs broderies dorées. Les chèches blancs, bleu indigo ou noirs. Et les femmes joliment drapées de la tête aux pieds dans leur voile d’organdi pastel. Il faudrait être photographe à ce moment là pour immortaliser le passage merveilleusement bien cadré de chacun de ces personnages. Mais je ne suis que piètre photographe, et absolument incapable de prendre quoique ce soit en contre-jour.
Le plat de crudités que l’on nous sert est magnifique. Chaque ingrédient est disposé en lignes et l’ensemble forme une composition colorée digne d’un tableau contemporain. Nous commandons un plat de poisson à emporter pour notre dîner sur les dunes. Car bien sûr, nous bivouaquerons à nouveau ce soir. Balade dans la ville totalement délabrée où nous rencontrons une bande de joyeuses petites filles qui nous guident à travers les ruelles en ruine. Elles se réjouissent des photos dont elles peuvent regarder le résultat immédiat sur l’écran de l’appareil. Tous les enfants du monde, à ce moment là, ont le même regard ébahi et adorable ! Et plus encore ceux qui ne sont pas habitués à l’image.
Nous trouvons pour la nuit un cordon dunaire qui surplombe un très bel oued, bordé d’une palmeraie. Malheureusement le paysage est gâché par tous les déchets qui jonchent le paysage. Ici, on est loin encore de toute préoccupation environnementale, et Salek et Moulaye se moquent un peu de moi quand je les réprimande de jeter sur la route un sac en plastique, ou quand je leur demande de brûler les déchets derrière nous. La nuit sera fraîche, surtout pour Salek, un éternel frileux qui continue de porter la capuche de son jogging en plein milieu de la journée sous les 30° d’un soleil brûlant ! Quant à Moulaye, il est du genre insomniaque, et veille toute la nuit sur nous à écouter nos ronflements ! Douce nuit trop courte, où je rêve que Sarko et sa Clara viennent nous rendre visite dans le HLM de mon enfance, et que je dois absolument nettoyer à fond les toilettes avant qu’ils n’aient envie de faire leurs besoins !
Nous devons nous lever à 5h30 pour lever le camp très tôt. Ce soir à 18 heures un tournoi nous attend à Nouakchott et nous avons encore à faire les 600 kilomètres du retour sur cette route rectiligne, long ruban gris qui grimpe de dune en dune. J’ai très sommeil pendant une bonne partie du parcours.
Retour à l’hôtel Chinguetti Palace où je retrouve mes affaires ainsi que Soulemane, le serveur du restaurant. Je lui ai beaucoup manqué ! Il veut venir me voir dans ma chambre ce soir ! Il ne croit pas que j’ai 60 ans !
Le tournoi a lieu dans la salle d’une mairie d’arrondissement. Il est précédé d’un petit discours de ma part et d’une discussion pour sensibiliser la vingtaine de scrabbleurs présents à la prochaine assemblée générale et à la nécessité de s’organiser. Les scrabbleurs mauritaniens sont tous des hommes et la moyenne d’âge est élevée. C’est que la politique d’arabisation récente a considérablement affaibli la présence de la langue française chez les jeunes. Il n’existe pas dans le pays de volonté de défendre la francophonie. C’est une difficulté considérable pour l’avenir de l’activité dans ce pays. Je ne participe pas au tournoi car je suis fatiguée et qu’il y a un joueur en trop. La salle n’est pas du tout configurée pour permettre un jeu en parties libres. Peu importe ! Les joueurs s’assoient par terre dans les couloirs et le tournoi commence. On joue en paire, donc à 4.
Moulaye m’accompagne à travers les rues complètement ensablées de Nouakchott pour rejoindre mon hôtel tout proche. Ce n’est pas très facile avec mes ballerines en satin, mais bon !