Cet ordinateur doit durer encore une semaine. Le faire fonctionner devient une véritable sinécure !
La journée d’aujourd’hui se déroule dans les environs de Ouadane que nous quittons ce matin vers 10 heures, alors que nous nous sommes levés avec le soleil ! Longues courses pour pas grand-chose : un peu de pain, de viande, quelques tomates et une boîte de thon. Mais le marché, apparemment assuré par la coopération espagnole dans un petit bâtiment, n’est pas facile à trouver et nous devrons demander à une dizaine de personnes dans les ruelles de la ville pour finir par le dénicher !
Nous voilà donc parés pour la journée, mais pas davantage. Nous n’avons que 5 petites bouteilles d’eau, et rien pour assurer la nuit. Nous devrons donc rentrer ce soir et surtout ne pas nous perdre. Car notre piste quitte maintenant toute zone urbaine et nous nous rendons en plein désert, là où nous ne pourrons rencontrer que très peu de monde, quelques bergers peut-être ou nomades, installés là.
Après 500 mètres des premiers sables du fond de l’oued que surplombe Ouadane, nous voilà déjà ensablés ! Salek n’a pas de rails pour désensabler le véhicule. Il devra le faire à la pelle. La journée commence bien ! Je commence à douter un peu de notre équipée…
Puis, ce sont des kilomètres et des kilomètres, parfois sur la piste, souvent au milieu de nulle part, pour nous rapprocher de notre destination : El Richat, curiosité géographique d’après le guide du Routard, que Théodore Monot a étudiée et dont il n’a pas élucidé l’origine : cratère naturel effondré ou créé par une météorite ? Le guide indique bien d’autres balades formidables au-delà de ce point, mais nous y renoncerons tout de suite avant le départ. La zone est occupée par des militaires qui risquent, s’ils voient un véhicule inconnu s’approcher d’eux, de nous tirer dessus !
Nous traversons des dunes de sable, d’autres recouvertes d’un léger gravier noir. Nous grimpons sur des sommets d’où l’on découvre des grandes dépressions entourées d’autres dunes, et d’autres dunes encore. On voit souvent à perte de vue à travers des espaces immenses. Le ciel est strié de stratus qui s’effilochent joliment. Les couleurs sont pastel. C’est magnifique encore une fois.
Mais nous continuons de rouler toujours plus loin à travers des paysages identiques qui, une fois atteints, nous redemandent de grimper à nouveau sur une montagne et d’en redescendre sans fin. Au bout de quelques heures, je deviens de plus en plus certaine que cela pourrait continuer indéfiniment, et que nous n’atteindrons jamais vraiment un point précis nommé El Richat. Par ailleurs, quand bien même nous pourrions l’atteindre, il n’est pas certain qu’il apparaisse comme un point précis à nos yeux. Un cratère de cette dimension est surtout visible par satellite. Nous sommes peut-être en plein dedans sans nous en rendre compte !
Je fais part à Moulaye et Salek de mes inquiétudes, et propose de revenir sur nos pas. Ils s’en amusent et se moquent un peu ! Jusqu’à la rencontre avec un vieil homme à dos de chameau qui nous confirme bien que El Richat est derrière nous, et qu’il faut rebrousser chemin !
Le « rebroussage » de chemin conduit notre 4X4 au sommet d’un col de sable, et il s’encastre à cheval sur la crête, à nouveau ensablé ! Moulaye et Salek commencent à se disputer plus ou moins, comme cela est le cas chaque fois que dans une aventure pareille survient un incident de parcours. Je connais bien cette situation et demande à tout le monde de rester zen. Re-pelle. Photo du 4X4 en équilibre sur le sommet de la dune ! Et Salek nous sort de la situation. Mais il est en nage, passablement énervé, et la tension est montée d’un cran pour la première fois de notre voyage.
Au retour à Ouadane, nous cherchons à visiter un petit musée dont parle mon guide. Nul musée n’est indiqué dans la ville, et la porte en bois fermée d’un simple cadenas qu’on nous désigne ressemble à tout sauf à un musée. Nous frappons. Personne. Un gamin sale et souriant qui cherche à fouiller dans la poubelle où je viens de jeter nos déchets de la journée se propose d’aller chercher le guide, un vieil homme. Après une bonne demi heure d’attente incertaine dans les rues délabrées de la ville, où des nuées de gamins horriblement sales viennent jouer autour de nous, le vieil homme arrive. Il parle un bon français, et nous ouvre la porte de sa caverne d’Ali Baba !
Dans une minuscule cour sont amoncelés des milliers d’objets hétéroclites, à même le sol la plupart du temps. Il s’agit pourtant de bifaces paléolithiques, d’objets néolithiques, de pièces d’une grande valeur qui avoisinent avec de vieilles batteries usagées, des collections de théières, tout un bric à brac incroyable ! Il nous fait entrer dans la pièce où il expose ses trésors. De vieux manuscrits, des objets ayant appartenu aux caravaniers de sel, selles de cheval, sacs de transports, mors, etc… C’est incroyablement poussiéreux et envahi de mouches.
Mais l’homme est merveilleux. Il conte avec beaucoup de pédagogie l’histoire de Ouadane, de cette ville qui fut à la fois capitale des érudits d’Afrique saharienne et carrefour obligé de toutes les caravanes qui traversaient le désert et se rendaient soit en Afrique noire, soit au Soudan, soit en Méditerranée. Il explique avec une grande conviction que Ouadane est bien la ville historique de la Mauritanie et que Chinguetti, sa rivale, en emprunte injustement le titre. A terre, des bouquins dont il sort certaines pages, complètement recouverts de poussière ! Aux murs, des cartes qu’il désigne à l’aide d’un bâton de conférencier ! Et partout un capharnaüm indescriptible !
Je l’écoute attentivement pendant une heure et me dit que l’on pourrait passer des semaines avec cet homme, intelligent, malicieux, intègre et passionné d’archéologie, d’histoire, d’ethnographie. Ici, à Ouadane, on le dit fou, nous explique t-il. C’est la raison pour laquelle il ne s’est marié qu’il y a deux ans, car aucune femme ne pouvait correspondre à son idéal ni accepter sa folie ! Son travail solitaire et totalement désintéressé sera relayé par une fondation qu’il a créée. Espérons le. Car, malgré ce qu’il affirme, les chefs d’œuvre qu’il détient dans sa caverne sont en péril et risquent la casse, le pillage, les termites, les mouches, la poussière, l’humidité.
Très belle rencontre. Depuis le début de la saison je ne suis que la troisième touriste à venir le voir. Les touristes ont déserté, mais le vieux guide semble s’en ficher un peu. Il ne fait pas tout cela pour quelque commerce que ce soit, et se contentera de quelques ouguiyas.