Nous quittons Ouadane en début de matinée avec un « petit frère » de Moulaye. Une vieille dame très âgée, aux bras tout fripés, nous demande de la conduire à Chinguetti, avec une jeune fille de sa famille, pour se rendre à l’hôpital. Il est vrai que dans des régions comme Ouadane, qui n’ont pas l’infrastructure touristique de Chinguetti, il n’existe presque rien pour se faire soigner. J’imagine ce que doit être un simple mal de dents dans ces conditions. Ce que doit représenter un simple cachet d’aspirine.
Après nos traditionnelles emplettes et errances du matin, nous voilà partis. Photos au pied de Ouadane où, dans un petit jardin tout vert, pousse du blé ! Nous y achèterons de la menthe pour le thé. Une tâche de vraie vie dans ce désert de pierres, qui fait plaisir.
Nous ne pouvons pas prendre la piste par les dunes qui franchissent le grand erg Ouadane. Encore une fois, la route est bloquée par les militaires, du moins je crois. Nous prendrons donc la piste principale, large et quasiment droite, à travers un de ces regs interminables que l’on traverse ici. Dommage.
La vieille dame commence à être malade. Elle vomit une première fois et je lui cède ma place de reine à l’avant du 4X4. Elle couvre son visage de son voile et souffre en silence durant tout le voyage.
A mi-parcours, deux femmes nous font signe sur la piste, et nous nous arrêtons. Ce sont des nomades qui vivent dans la pierre au milieu de nulle part. Une de leur parente est blessée au dos, après être tombée dans un puits. Nous bifurquons donc avec le véhicule au milieu des pierres jusqu’à leur tente. Toute une tribu semble vivre là. Un seul homme, de nombreuses femmes et toute une ribambelle de marmots. La soit disant blessée est debout. Nous nous attendions à prendre à bord quelqu’un de complètement invalide. Pas vraiment. Elle nous rejoint donc dans la voiture avec une jeune fille de sa famille. Nous sommes maintenant 8 dans le 4X4.
A trois ou quatre reprises, la vieille dame de Ouadane nous demande de nous arrêter. On l’aide à descendre du véhicule et elle s’accroupit dans le sable pour vomir. Apparemment cette passagère est vraiment malade. Elle porte la souffrance sur le visage. Du coup, la jeune fille qui l’accompagne, s’y met à son tour ! C’est un véritable convoi sanitaire que notre 4X4 aujourd’hui !
Quant à notre grande blessée, arrivée à Chinguetti, elle s’empare elle-même de sa valise qu’elle réussit parfaitement à porter. Pas plus blessée que vous et moi ! Cette manière de faire du stop scandalise Moulaye. C’est ainsi, dit-il, que personne ne s’arrête vraiment plus quand il y a un accident grave.
Chinguetti est une des villes saintes de l’Islam. Elle niche au fond des sables à l’orée de l’erg Ouadane, fait de jolies dunes blondes sur plusieurs dizaines de kilomètres. J’ai envie d’un peu de confort aujourd’hui et surtout d’une douche chaude et d’un shampoing que je n’ai pas pu m’offrir depuis mon départ de Nouakchott. Le Routard donne une bonne adresse, et c’est effectivement dans une auberge superbe tenue par une française que nous débarquons. Nous y louerons une grande tente pour nous 4. Il y a un petit jardin avec des palmiers, des meubles de jardin pour s’asseoir dehors, des douches chaudes, et l’ensemble est d’une grande propreté.
Je parviens sans mal à tenir quelques jours sans une hygiène parfaite, en me débrouillant avec les moyens du bord, un peu d’eau froide, des lingettes. Mais il est vrai qu’assez vite me prend une grande envie de me laver correctement. Le vrai luxe est là pour moi. Dans cette auberge, la douche sera délicieuse dans une salle de bains carrelée parfaitement propre. La propreté du lieu est saisissante par rapport aux quelques jours que je viens de vivre. Pas une mouche ni un grain de sable dans le salon où j’écris. Pas un papier qui traîne dans le jardin. A table, nous serons servis avec des assiettes et des couverts, ce que Salek n’apprécie pas, lui qui ne comprend pas pour quelle raison on se servirait de tels instruments !
Je demande d’ailleurs un repas spécial pour mes amis mauritaniens, repas qu’on va leur chercher dans un restaurant du coin. Salek trouvera les portions ridiculement petites. Moi, je suis aux anges, car on me sert des calamars. Je ne mange pas de viande, si bien que ces derniers jours, où de la viande est servie aux deux repas, je n’ai pas mangé grand-chose. Et en entrée, un de mes hors d’œuvre préféré que je serai la seule à apprécier : du caviar d’aubergines !
Enfin, je le confie à ce blog, la patronne de l’hôtel, une française d’un certain âge, accepte de me servir une bière ! L’alcool est considéré ici comme un breuvage maudit. Il est interdit d’en importer, d’en faire commerce et de le consommer. Salek s’étonne qu’après avoir bu ma bière je ne sois pas complètement saoule, quant à Moualye il ne dit rien, mais n’en pense sûrement pas moins !
En fin d’après midi, nous partons sur les dunes avec le 4X4, et Moulaye et moi faisons une petite promenade en nous enfonçant dans l’erg. Je retrouve cette sensation que j’aime tant des formes douces et claires du sable, du vent qui souffle fort aujourd’hui sous un ciel couvert, des nuées qui caressent les crêtes des dunes, des jambes qui s’enfoncent jusqu’à mi genoux lorsqu’on descend, des pas qui se marquent un à un, de la rencontre improbable avec une plante, une fleur, du sable qui craque entre les dents, des différents consistances que rencontrent nos pieds, le sable dur sur lequel on reste en surface, le sable qui s’écroule sous le poids du corps lorsque l’on grimpe une côte, … Bref, j’arrête car je pourrais ainsi parler des heures, au risque d’ennuyer fortement ceux qui me lisent !
Nous nous rendons ensuite dans la vieille ville de Chinguetti, totalement fantomatique en cette triste période de désertion touristique, elle qui aujourd’hui ne vit plus que du tourisme. Difficile d’imaginer ce qu’a du être dans le temps l’animation de cette ville caravanière, carrefour de tout le commerce et de toute la culture arabo-islamique. La patronne de l’auberge nous explique elle aussi qu’elle a perdu cette année 90% de son activité, après l’annulation du Dakar et les évènements d’Aleg. La crise économique aussi n’aide pas. Le tourisme en souffre beaucoup.
Pourtant touristes, sachez qu’en Mauritanie, vous feriez des économies par rapport à la vie en France ! Une fois votre charter payé (600 euros environ), un repas vous coûtera autour de 2 euros, et une tente comme celle que nous louons ce soir, très luxueusement décorée, nous revient à 7 euros par personne, petit déjeuner compris, alors que l’endroit est certainement un des plus luxueux de la ville. Au final une semaine à Chinguetti vous reviendrait l’équivalent d’un chariot de supermarché à Paris !
Dans ce contexte, les mauritaniens de Chinguetti souffrent beaucoup. Dès mon arrivée, je suis happée par une nuée de petites vendeuses d’artisanat qui m’attendront toute la journée à la porte de l’auberge dans l’espoir que j’achète une babiole. Dans les rues de la ville, je craque. Elles sont 4 à me harceler. J’achète quelques bracelets, plus pour leur faire plaisir à elles qu’à moi. C’est en tous les cas une situation qui m’embarrasse beaucoup quand je suis dans un endroit touristique, celle de devoir sans cesse dire non à des gens dont je sais que le moindre ouguiya leur rendrait grand service, celle d’être considérée comme quelqu’un de riche qui se promène dans la misère. C’est ainsi. Je dois l’accepter. Quoique je fasse, quel que soit le type de voyage que j’entreprends, même lorsque je prétends vivre comme les gens des pays où je me rends et où que j’aille, je suis blanche et française, donc pleine d’argent aux yeux de la très grande majorité des habitants de notre planète. Savons nous toujours la chance que nous avons d’être nés du bon côté de la barrière ?