C’est très joli Azougui le matin au réveil. Les couleurs sont pastels. Bleu pâle du ciel sous un soleil bien franc, rose des montagnes, jaune paille des dunes qui les bordent et joli vert des palmiers. La vie ici doit être tranquille et agréable. L’habitat est en branchages et feuilles de palmiers la plupart du temps. Il y a quelques cultures maraîchères. L’endroit est vraiment paisible.

Nous quittons malheureusement Azougui sans avoir vraiment eu le temps d’en profiter beaucoup puisque, aujourd’hui, s’achève ma période touristique et reprend le boulot scrabblesque. Nous allons à la rencontre des scrabbleurs d’Atar, et demain de Zouérate, dans le but de préparer le terrain pour la construction de  ligues régionales. Le préfet de l’une des wilayas d’Atar est un scrabbleur.

Nous nous installons dans une auberge moderne où je vais occuper une chambre seule avec toilettes et salle de bains. Le grand luxe ! L’endroit est aussi un point de ralliement des guides touristiques de la région, et parmi eux il y a 17 scrabbleurs qui forment un club ! Serait-ce enfin là que je vais trouver l’homme de ma vie ? Celui qui serait aussi passionné que moi de mots et de déserts ? D’anagrammes et de méharée ? De longues heures à tripoter les caramels entre deux road movies ? Et bien peut-être ! C’est ce que cet oiseau là est d’une grande rareté, les scrabbleurs étant plus volontiers des rats de bibliothèque que des aventuriers, et les routards bien peu friands de vraie langue française et de jeux de société !

Dans l’après-midi, nous rencontrons à l’Alliance franco-mauritanienne les scrabbleurs d’Atar, du moins certains d’entre eux. A l’Alliance existe un club qui regroupe environ 25 personnes, auxquelles s’ajoutent les scrabbleurs guides. Mais il existe certainement d’autres joueurs sur la région, et il est bien difficile d’en évaluer le nombre. Toujours est-il qu’il paraît tout à fait possible de construire ici une ligue régionale. J’explique à la réunion ce qu’est le rallye des mots, la situation de la fédération mauritanienne toute nouvelle, et nos espoirs de voir les mauritaniens participer aux activités de la fédération internationale. Je suis écoutée de façon attentive jusqu’au moment où, bizarrement, je constate que la salle se vide peu à peu. Inquiète de cette baisse de fréquentation et d’attention, j’arrête mon exposé et sort de la salle. Pour découvrir alors tout mon club agenouillé, accroupi, en pleine prière ! Ils n’avaient pas osé sans doute me demander l’interruption.

J’aurais bien photographié ces hommes, tous en blanc clair et bleu, alignés sur trois rangs, enturbannés pour la plupart, qui précédaient deux rangées de femmes dans la même position, comme photo symbolique du scrabble en Mauritanie. Mais malheureusement en ce moment, c’est une véritable catastrophe technologique qui s’abat sur moi. La fermeture du duvet ne cesse de s’ouvrir, l’ordinateur s’arrête toujours de façon intempestive, et l’appareil photo est sans doute ensablé, si bien qu’il n’est plus possible de l’utiliser ! C’est un véritable séisme électronique ! Il faut dire que le matériel est mis à mal ici, avec le sable, le vent, la poussière et les nombreux déplacements.

Après la prière, ma tentative de faire jouer quelques coups duplicate, se solde par une interruption. L’ordi ne supporte pas le dongle ! Les scrabbleurs d’Atar auront cependant découvert cette forme de jeu avec intérêt. Ici, on joue ce que l’on appelle « l’international », c'est-à-dire que l’on joue avec mêmes règles que nous. On a abandonné le « musclé » depuis longtemps, ce qui est un signe d’évolution ! Les joueurs n’ont que le petit Larousse auquel se référer et j’explique ce qu’est un ODS. Le duplicate est inconnu à un point tel qu’il faut expliquer jusqu’aux références alpha numériques. Sur les 8 coups que nous auront joué, 6 d’entre eux sont des mots inconnus de nombreux scrabbleurs présents, jusqu’à des mots très simples comme jab ou éwe. La pratique du scrabble classique ne permet pas à ces joueurs, pourtant passionnés, de faire évoluer leurs performances. Ils ne se confrontent qu’entre eux. Ils manquent beaucoup de vocabulaire.

Hussein, le préfet scrabbleur nous invite à dîner chez lui. Apprenant que je ne mange pas de viande, ce qui est abondamment commenté ici et difficilement compris, il va s’enquérir d’une salade chez un restaurant du coin. Ces mauritaniens sont vraiment adorables ! Hussein est cultivé et ouvert. La discussion avec lui est intéressante, un peu plus politique qu’avec d’autres interlocuteurs. J’apprends que la mortalité infantile est d’environ 40%, ce qui est énorme ! Quant à l’espérance moyenne de vie elle est de 48 ans pour les hommes et de 53 ans pour les femmes, ce qui est légèrement mieux qu’en Afrique noire, mais tout de même bien faible. Je suis donc une vieillarde ici avec mes 60 balais !
J’apprends que le corps professoral, composé de femmes essentiellement, ne peut pas être muté en province, si bien que les zones rurales manquent de professeurs alors que les infrastructures existent. Contrairement aux pays d’Afrique noire en revanche, les mauritaniens même dans les zones les plus reculées n’hésitent pas à envoyer les enfants à l’école, garçons comme filles. On ne déplore pas le manque de scolarisation mais plutôt le niveau des élèves, en français surtout, depuis que l’enseignement est en arabe. Les enseignes des boutiques, les informations écrites dans les rues, témoignent de très grandes carences en orthographe, et sont de ce fait souvent très amusantes ! Même sur l’affiche officielle de la grande compagnie minière, appelant les ouvriers à produire davantage pour assurer la compétitivité de l’entreprise, et sa pérennité, ou plutôt perrenité !

Hussein ne peut pas personnellement assumer la responsabilité de la région d’Atar, car il est très pris et pas certain de rester sur la ville. Nous lui confions toutefois la mission de recenser le maximum de joueurs et de convoquer une assemblée générale pour élire le bureau de la Ligue d’Atar. Il accepte la mission. Dommage de ne pas pouvoir compter davantage sur lui.

Le soir, de retour à mon hôtel, le gérant me pose une question, ayant appris par la rumeur publique le contenu de mon exposé à l’Alliance. Les mots de l’ODS sont-ils reconnus par l’Académie française ? Je suis touchée de cette question que je ne me suis moi-même jamais posée ! Je lui répondrai, c’est sûr ! L’Académie peut être fière d’être célèbre jusque dans ce coin perdu du désert !